La Bibliothèque de Digoin mène depuis 2002 des actions en partenariat avec le Centre d’accueil des demandeurs d’asile (CADA). Rencontre avec Agnès Alquier, directrice de la bibliothèque municipale et de l’Observaloire à Digoin.
Peux-tu nous présenter la Bibliothèque de Digoin rapidement ?
Digoin est une ville d’un peu moins de 8000 habitants, située au bord de la Loire, à l’Ouest du département. La bibliothèque a été inaugurée à l’automne 2000. Le projet faisait suite à une grande consultation des digoinais pour savoir ce qu’ils souhaitaient comme service de lecture publique et qui a donné lieu à une informatisation de la bibliothèque et à transition importante de son statut, auparavant associatif et désormais municipal. Depuis, l’équipe s’est aussi étoffée, ce qui permet de proposer d’avantage d’animations.
Implantée en rez-de-chaussée, au centre-ville, la bibliothèque fait 900 m2, avec une salle d’exposition et d’animation, un patio intérieur où se déroulent des animations. Il a été rénové il n’y a pas longtemps, et relie les deux sections : jeunesse et adultes. C’est un endroit accueillant et sympa, avec des transats, ouvert au public dès que le temps s’y prête… La bibliothèque propose deux postes avec accès internet accessibles à tous : abonnés ou non. C’est un point d’accès public aux services numériques.
Comment es-tu entrée en contact avec le Centre d’accueil des demandeurs d’asile ?
Le partenariat avec le Centre d’accueil des demandeurs d’asile (CADA) était déjà en place à mon arrivée en 2004 sur le poste de direction de la bibliothèque. Digoin a une spécificité importante puisque c’est le seul CADA en France qui dispose d’un poste d’animateur…
Quel est le point de départ des actions menées aujourd’hui ?
Cet animateur organise beaucoup de choses pour les enfants, qui sont aussi entourés par tout un appareillage éducatif mis en place par l’Education nationale. Des professeures enseignent le FLE (Français Langue étrangère) à l’école primaire et au collège. Les enfants peuvent être scolarisés dans le cadre d’un enseignement spécifique si besoin…
L’animateur mettait en place des projets nombreux et divers, dont une partie en partenariat avec la bibliothèque. Une de mes collègues proposait aux enfants résidant au CADA des ateliers d’initiation au livre et à la lecture, le mardi soir, dans la continuité des horaires d’ouverture habituels de la bibliothèque. Cet atelier a commencé en 2002 et s’est arrêté en 2007, remplacé par d’autres projets.
Jusqu’en 2016, l’animateur mettait en place de petites expositions sur des thèmes variés : autour du monde, la neige, le recyclage, les jeux de société…C’est la possibilité régulièrement offerte de valoriser sur les murs de la bibliothèque les travaux créatifs réalisés par les enfants.
En juillet 2018, la Bibliothèque de Digoin s’était associée à la BDSL pour proposer un événement à l’occasion de Partir en livres, en plein air sur les quais de Loire. Le CADA était partenaire de l’opération et les enfants avaient pu participer à toutes les animations proposées, en particulier à un atelier de calligraphie à la bibliothèque, animé par Hasan Musa, auteur et illustrateur jeunesse originaire du Soudan. Les enfants avaient reçu des chèques livre offerts par le ministère de la Culture, ce qui leur avait permis d’acheter un livre à la librairie La Mandragore, présente sur la fête. L’association les Amis du Cada proposait une buvette avec des assiettes découverte des cuisines du monde. ...
Et puis, comme un peu partout, la crise sanitaire avait un peu arrêté toutes les activités. Même si la coupure Covid n’a pas encore été colmatée, depuis 2022, l’activité redevient plus normale.
Et aujourd’hui ?
Actuellement, les enfants viennent régulièrement au « Coin des histoires », C’est une animation pour enfants, ouverte à tous les publics et proposée par ma collègue Sandrine. Les enfants résidant au CADA se mêlent aux autres. Sandrine propose parfois une séance spécialement adaptée pour les enfants tout récemment arrivés et qui auraient encore un faible niveau de compréhension du français. En fait, elle adapte un peu à chaque fois selon le groupe d’enfants présents…
L’animateur accompagne aussi de petits groupes pour visiter les expositions proposées par la bibliothèque, comme par exemple celle sur l’astronomie pour laquelle nous avions même récupéré un petit planétarium.
Avez-vous d’autres projets en partenariat avec le CADA ?
Oui, en 2023 la bibliothèque de Digoin s’associe au festival Contes Givrés en partenariat avec le CADA et Les Amis du CADA, association digoinaise toujours partante pour faire découvrir la culture et la cuisine des pays représentés par les résidents du centre d’accueil. Tout au long du festival, l’équipe de Contes Givrés vend aussi au profit de l’association éditrice les livres édités par Les amis du CADA. Cette année, devrait d’ailleurs paraître un nouveau livre sur la thématique des femmes.
En octobre 2022, le festival avait déjà programmé, à Digoin un temps fort « Exils » avec un premier spectacle à 18 h sur le déracinement « Pouce, un oiseau passe » avec Patrice Le Saëc sur un texte de Joël Jouanneau, suivi d'une rencontre avec les jeunes du CADA. Petite restauration avec les Amis du CADA. Puis les jeunes sont montés sur scène pour décliner leur nom, leur voyage et leur origine chacun avec le vocabulaire en langue française dont il dispose. Et en final, « Le 7ème jour », un spectacle d'Alberto Garcia Sanchez. 180 spectateurs pour la soirée… C’était un bel évènement !
On renouvelle l’expérience en 2023 avec une soirée prévue le 16 octobre, à peu près sur le même format qu’en 2022. Avec deux spectacles : «J'ai été ma propre route», une lecture sur le thème du courage, par Emmanuelle Mehring (Cie Théâtre organique), puis «Au pied des monumentales petites choses» de Marie-Juliane Marquez (Cie les Incasables). Deux spectacles sur la solitude et la force des femmes qui se battent et refusent la fatalité.
Les personnes résidant au CADA ont elles la possibilité d’emprunter des documents ?
Le CADA est inscrit à la bibliothèque. C’est une carte de groupe qui permet aux demandeurs d’asile de s’inscrire gratuitement et d’emprunter individuellement des documents et de se connecter à internet. Pour leur première venue, ils arrivent munis d’une attestation avec leurs nom et prénom pour que nous puissions les inscrire sur la carte collective. C’est aussi un moment d’accueil et d’information. Nous prenons le temps de leur présenter la bibliothèque et de leur expliquer son fonctionnement. Les adultes viennent souvent seuls, le plus souvent ce sont les hommes qui viennent à la bibliothèque, essentiellement pour l’accès à internet. Nous voyons peu les femmes qui résident au CADA. Nous arrivons plus facilement à toucher les enfants via l’animateur ou bien par l’école.
Avez-vous développé des collections particulières pour répondre aux besoins de ces publics ?
Nous avons développé un fonds Français langue étrangère (FLE) avec des méthodes multimédia, la plupart du temps livre + CD. Beaucoup de méthodes éditées par ASSIMIL, qui proposent l’apprentissage du français à partir d’une langue ou d’une autre.
Dans les collections courantes de la bibliothèque, j’oriente aussi les adultes vers les livres audio, les livres jeunesse quand ils ne sont pas infantilisants, des livres en gros caractères également. Pour les enfants, le fonds jeunesse bien sûr, et tout spécialement des livres « allégés », qui permettent d’approfondir les questions de grammaire. Un professeur du collège a aussi repéré des méthodes « pas bébé », de beaux abécédaires qui constituent une proposition de départ pour accueillir les enfants allophones.
De son côté, l’animateur a monté un coin bibliothèque dans les locaux du CADA. Nous lui donnons régulièrement des revues pour la jeunesse, retirées de nos collections : Géo ados, J’aime Lire, etc. Ce sont des lectures plus légères, plus faciles à aborder. Beaucoup d’images…
Quels sont les besoins auxquels peut répondre la bibliothèque ?
Les besoins sont différents pour chaque personne, en fonction de son origine géographique, de son histoire familiale, de son niveau de scolarisation dans sa langue maternelle, de son expérience personnelle, etc.
Nous avons accueilli de nombreuses personnes en provenance d’Afghanistan, d’Albanie… Cela évolue tout le temps, et les demandeurs d’asile font des séjours assez courts au CADA. Ils résident là parfois pendant une année, mais souvent les séjours sont beaucoup plus courts. Tout dépend du délai de traitement de leur demande d’asile, des recours possibles ou bien s’ils sont déboutés.
Certains n’ont jamais fréquenté une bibliothèque et considèrent le livre comme quelque chose de très nouveau. D’autres ont fait des études, parlent anglais ou arabe et basculent plus facilement vers le français.
Au sein de l’équipe de la bibliothèque, comment vous organisez vous ?
A la bibliothèque pas de personnel référent de ce partenariat. Tout le monde met la main à la pâte à un moment ou à un autre, nous sommes une petite équipe de cinq personnes. L’animateur du CADA parle couramment l’anglais, je suis assez à l’aise aussi, ainsi qu'une autre collègue, cela permet parfois de communiquer plus facilement avec les nouveaux arrivants.
J’ai mis en place un livret d’accueil spécialement adapté pour des publics allophones, pour expliquer les horaires d’ouverture, le fonctionnement de la bibliothèque, etc. C’était une feuille A4 pliée en 4 qui composait une sorte de petit livret que j’avais fait traduire en cinq ou six langues comme le russe, l’arabe, etc. et transmis au CADA pour informer les demandeurs d’asile de l’existence de la bibliothèque et des services proposés.
A l’occasion d’une présentation de la bibliothèque à de nouveaux arrivants, nous avions préparé avec l’animateur un diaporama d’accueil répétant un « Bonjour », traduit dans chacune des langues parlées par les participants.
Ce partenariat fait-il l’objet d’une convention ?
Le partenariat avec le CADA existe de longue date, depuis 2002 au moins, mais il n’a pas été formalisé…
Et pour la suite ?
Sur le plan professionnel, c’est pour moi l’occasion d’expérimenter la différence et de sortir de certains formatages habituels. Certaines choses semblent évidentes pour nous, et ne le sont absolument pas pour eux. Les demandeurs d’asile ne constituent pas un groupe homogène, les parcours sont très divers. Nous devons chaque fois nous réinventer pour les accueillir. Pour conclure, on continue bien sûr !
Plus d'infos
Site internet de la Bibliothèque de Digoin : bm-digoin.fr
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Publié en juin 2023