Ces dernières décennies, les bibliothèques ont définitivement tourné plusieurs pages de leur histoire.

Oubliée l’image, très fantasmée il est vrai, de la bibliothécaire acariâtre, finie l’obsession du tout collection et des addictions aux normes de catalogage, terminé le temps de la bibliothèque citadelle du savoir et temple exclusif du livre.

Depuis quelques années, comme l'illustre le thème du congrès de l’ABF (Association des bibliothécaires de France) qui a eu lieu en juin 2021 en visio-conférence, les bibliothèques ont placé les usagers au cœur de leurs missions et de leurs préoccupations. Elles sont devenues fabriques du citoyen, espaces culturels de proximité, une affaire publique, des équipements structurants sur leurs territoires et se sont transformées en lieux de vie… en fait, elles ont mis tous leurs moyens au service des citoyens. Une révolution toujours en œuvre dans bien des bibliothèques qui multiplient les animations, les manifestations culturelles, les ateliers participatifs.

Cette première mutation des bibliothèques avec l’intégration des publics dans leurs projets n’est pourtant pas l'ultime étape de leur transformation. Après avoir attiré les usagers sur leurs propositions et leurs valeurs, la tendance est à un renversement du processus : ce sont maintenant les bibliothèques qui doivent s’adapter, afin de prendre en compte les différences physiques, sociales, intellectuelles et culturelles des usagers.

Les usagers ne rentrent plus dans des modèles construits patiemment par les bibliothèques ; ils sont les modèles : c’est une différence fondamentale entre l'intégration et l'inclusion. La bibliothèque ne doit plus seulement s’organiser pour accueillir un maximum de personnes, elle doit adopter une posture inclusive qui l'oblige à faire évoluer son modèle de fonctionnement, afin de répondre à toutes les particularités présentes dans la société.

La question de l’inclusion dans les bibliothèques est donc forcément multiple, complexe et éminemment politique. La réduire à une simple injonction, à un simple slogan, ne tendrait qu'à en caricaturer les contours sans prendre en compte, les vrais enjeux sociaux, culturels, économiques et humains liés à cette question et prendre le risque de mettre l’existant en péril.

Une inclusion ou des inclusions ?

Une des priorités de la démarche inclusive est d'aller au-devant des publics les plus éloignés, les plus fragiles. Il faut lutter contre les difficultés d'accès aux services de la bibliothèque, notamment pour des raisons d'incapacités physiques ou cognitives. Le retard à rattraper est important tant au niveau handicap que social.

Une seconde raison de cette volonté d'inclure des publics très éloignés des bibliothèques relève du souci d'émancipation et de compétence des citoyens, une des missions essentielles des équipements culturels. Une partie importante de la société rencontre aujourd'hui des difficultés sociales et économiques sévères qui l'éloignent petit à petit des savoirs communs nécessaires à l'exercice de la citoyenneté. Les bibliothèques ne sont naturellement pas sa priorité, alors que ces dernières pourraient lui apporter une aide précieuse.

Enfin, un troisième argument justifiant beaucoup plus d'inclusion dans les bibliothèques trouve son origine dans le besoin exprimé par les citoyens de la prise en compte de leurs singularités culturelles individuelles ou collectives. De nombreuses personnes estiment ne pas trouver, ou ne pas avoir leur place dans la bibliothèque. Elles souhaiteraient y être mieux représentées. Une revendication légitimée par la notion de droits culturels définis par l'Unesco et adoptés entre autres par la France.

Plusieurs inclusions, plusieurs réponses et beaucoup de questions

En résumé, l'inclusion est donc, soit une démarche qui cherche à rassembler toute la population autour d'un projet de société commun, soit une manière d'assembler des singularités individuelles ou collectives. Une grande différence dans les objectifs qui rend difficile l'évocation de l'inclusion sans précision de chaque action et de sa finalité.

Une fois cette clarification effectuée, se pose la question du comment. Pour les bibliothèques, il s'agit de missions complètement nouvelles et les équipes de salariés et de bénévoles des bibliothèques n'y sont pas forcément préparées. Il faut donc former, favoriser les partenariats, communiquer, convaincre y compris les premiers intéressés, mobiliser des moyens matériels, financiers et humains. Des conditions de réussite reposant aussi dans les choix de nos collections, de nos services pas forcément prévus pour répondre à toutes ces nouvelles demandes.
Pour les bibliothèques, s’inscrire dans un processus d'inclusion nécessite donc des changements et des adaptations de leurs organisations.

Enfin, arrive la délicate question des choix et des stratégies, s'agissant notamment de la prise en compte des revendications culturelles. Si aujourd'hui on assiste à l'émergence d'une multitude de revendications exprimées dans le domaine de la culture, devant être légitimement entendues, jusqu'à quel point doivent-elles être prises en compte et comment ?
Si les bibliothèques ont le devoir de permettre à tous les individus de se construire et de s'épanouir en leur en donnant les moyens, elles ne peuvent le faire que dans le respect du cadre de leur mission de service public et du devoir de neutralité auquel les bibliothécaires sont astreints de par leur statut.

Comment, par exemple, traiter la demande d'un groupe constitué qui souhaiterait le retrait des collections d'un document contrevenant à ses principes ? Une situation qui revient régulièrement et souvent d'horizons très opposés. L'inclusion de tous les points de vue ne peut en aucun cas se faire au détriment de la liberté d'expression et du pluralisme des idées qui sont des principes fondamentaux pour les bibliothèques.

Se déclarer bibliothèque inclusive n'est donc que le premier pas d'un processus qui relève d'un projet précis, construit en concertation avec des acteurs multiples, notamment les élus. Quels que soient les projets, quelles que soient les demandes, une bibliothèque « inclusive » ne peut en aucun cas sortir de son cadre institutionnel, c'est un service public qui doit rester garant d'un accès à tous les citoyens au-delà de leurs origines, leur sexe, leurs idées, leurs croyances.

Finalement, la question de l'inclusion rejoint celle, très actuelle, du pacte républicain et de sa vision universaliste, qui est aujourd'hui confronté au relativisme culturel porteur de l'idée libérale d'une société segmentée.

Et à la BDSL ?

Dans les prochaines semaines, en partenariat avec quatre bibliothèques du département, la BDSL va mettre en place des espaces destinés à lutter contre l’illettrisme. Il s'agit de permettre aux personnes qui rencontrent des difficultés, liées à des handicaps, à des accidents de la vie, à des absences de scolarité, à la découverte de la langue française, d'accéder ou de retrouver le chemin de la lecture.
Des sélections d'ouvrages leur seront proposées sur des rayonnages spécifiques identifiés « Facile à Lire ».

La BDSL proposera à ces quatre bibliothèques des sélections de documents et un mobilier adapté. Elle organisera, en lien avec l'association Bibliopass à l'initiative de ce projet en France, une formation.
Elle assurera le suivi de sa mise en œuvre. Cette première expérience permettra de construire un modèle qui pourra ensuite être proposé progressivement à l'ensemble des bibliothèques du département.
« Facile à lire » est une action d'inclusion qui fait l'objet d'un label proposé par le Ministère de la Culture et de la Communication.