La Bibliothèque de Varennes-le-Grand accueille régulièrement une classe externalisée de l'IME L'Orbize. Entretien avec Anne Henry, responsable de la bibliothèque...
BDSL - Peux-tu nous présenter rapidement la Bibliothèque de Varennes-le-Grand ?
AH – On arrive à la Bibliothèque de Varennes par une belle allée de platanes. Elle est située au cœur du village, en face de l’école, juste au-dessus de la mairie, peu visible de l’extérieur et accessible par un escalier mais les gens viennent : le nombre de prêts a doublé entre 2017 et aujourd’hui (3 000 prêts en 2017 et 5 932 en 2022), surtout depuis la reprise d’un fonctionnement plus « normal » après l’interruption de la crise sanitaire. C’est très encourageant !
Elle est organisée en deux espaces, un pour les adultes et un pour les enfants, très agréable, vitré, très lumineux. La bibliothèque propose des livres et des revues. J’accueille régulièrement les élèves de l’école et j’organise aussi des animations tous publics : ateliers dessin de manga avec une illustratrice, fresque du climat avec Annick Bourbon, etc.
Il y a 2 380 habitants sur la commune et plusieurs établissements sont implantés sur le territoire desservi par la bibliothèque : en plus de l’école maternelle et primaire déjà citée, il y a le Centre pénitentiaire, « L’autre école » (une école alternative créée par Gaëlle Montmaron), un centre de rééducation pour personnes âgées…
BDSL - Comment es-tu entrée en contact avec l’IME ? D’où venait la demande ?
AH - Ce projet fait partie intégrante de mes missions. La mairie m’en a parlé dès mon entretien de recrutement. L’accueil régulier d’une classe externalisée était un des points importants dans la présentation globale du projet de la bibliothèque.
BDSL - Depuis combien de temps cette classe externalisée existe-t-elle à l’Ecole de Varennes ?
AH - L’IME L’Orbize de St-Rémy a signé un accord avec la mairie en 2021 pour l’accueil d’une classe externalisée à l’Ecole primaire de Varennes. D’une certaine manière, j’ai pris mon poste sur la commune en même temps qu’eux, pour la rentrée scolaire de septembre 2021…
C’est une classe de 5 élèves de 10 à 12 ans qui partagent leur temps entre l’IME à St-Rémy et leur scolarité à Varennes. En termes de socialisation, cela leur permet de rencontrer d’autres enfants, en particulier dans la cour de récréation de l’école où tous les élèves sont ensemble en même temps.
C’est important pour moi de les accueillir. Ils viennent tous les vendredis matin à 9 h 10 pour environ trois quart d’heure, accompagnés de leur enseignant et d’un éducateur. Finalement, c’est eux que je vois le plus régulièrement car les autres classes viennent seulement toutes les trois semaines. Au début il y avait aussi une petite fille dans ce groupe mais elle n’a pas pu continuer, c’était difficile pour elle. Dans cette classe, quatre enfants ont des troubles autistiques, le cinquième est atteint de déficiences et n’est pas en capacité de suivre une scolarité classique.
BDSL - Quels sont les objectifs du projet ?
AH - Inclusion scolaire, sociale, mais aussi sensibiliser les élèves à reconnaître et accepter les différences, favoriser le vivre ensemble… De son côté, la directrice de l’école a aussi organisé un projet en 2021 avec les élèves de sa classe, sur le thème L’autisme, qu’est-ce que c’est ? Une neuropsychiatre est venue à l’école, ce qui a permis aux enfants de poser leurs questions, mieux comprendre les réactions des élèves de la classe externalisée de l’IME, et leur prêter une autre attention. ET ce projet s’inscrit dans la continuité puisqu’elle va revenir cette année (2023) à l’école de Varennes pour rencontre les élèves des autres classes.
BDSL - Comment as-tu construit les modalités d’accueil de ce petit groupe ?
AH - Je dirais qu’il faut faire beaucoup de place pour accueillir l’imprévu ! Ça bouscule les premières fois. Au début, ils partaient dans tous les sens et il fallait surtout faire attention à ce qu’ils ne sortent pas de la bibliothèque pour partir explorer l’escalier intérieur qui descend dans la mairie... Il a fallu prendre le temps de tisser une relation avec chacun d’eux pour les mettre en confiance et progressivement, les choses ont été de mieux en mieux. Aujourd’hui, ils connaissent les lieux et ils me connaissent.
BDSL - Comment se déroule une séance à la bibliothèque ?
AH - Nous avons installé des rituels rassurants : en arrivant, chacun choisit ses livres, puis je leur raconte une histoire sélectionnée en compagnie de l’enseignant, ou bien je leur fais la lecture d’un livre que j’ai apporté. J’ai aussi animé une séance avec un kamishibaÏ prêté par la BDSL, ça avait très bien marché.
Mais ce sont aussi des pré-adolescents, alors parfois ils n’ont juste pas envie de lire, ni d’écouter ! C’est S. qui accroche le plus avec la lecture, lui, il aimerait qu’on lui lise tout le temps une histoire. Avec lui, je prends aussi le temps de repérer des livres dans le catalogue de la BDSL pour les faire venir.…
Avec l’enseignante, nous repérons et réservons aussi des livres sur l’autisme ou des sélections professionnelles.
BDSL - Y-a-t-il eu une réflexion en amont avec les éducateurs de l’IME ? Comment se déroulent ces accueils ?
AH - J’ai beaucoup discuté avec l’enseignant et avec l’éducateur pour chercher avec eux les meilleures solutions et faire en sorte que les enfants se « posent » tranquillement. Nous avons construit ensemble les accueils à partir des souhaits et des centres d’intérêt des jeunes. Aujourd’hui, le pari semble gagné et les enfants se sentent suffisamment en confiance pour accepter de changer d’endroit dans la bibliothèque : habituellement, nous nous installons toujours au même endroit, dans l’espace jeunesse, mais ce matin, grand changement, nous sommes allés nous asseoir dans l’espace adultes, sur un canapé et tout s’est bien passé !
Je me souviens qu’au début, avec l’éducateur, pour faciliter les interactions, chacun d’eux venait avec un petit écran qui utilisait des pictogrammes. Ils ont fait une photo de la bibliothèque, m’ont prise en photo aussi pour récolter des éléments visuels qui leurs permettent ensuite de verbaliser et raconter le soir cette expérience de la journée à leurs parents.
Ils ont pris l’habitude de venir à la bibliothèque et s’y sentent bien. Nous avons mis en place nos petits rituels et appris à vivre ensemble. Aujourd’hui, ils sont réceptifs à toutes les propositions et attendent autre chose de ces visites.
BDSL - Quelles sont les particularités de ces séances à la bibliothèque
AH - On développe des liens beaucoup plus forts. Je les connais et réciproquement, bien mieux que les autres classes de l’école que je reçois régulièrement. Ils viennent plus souvent et sont moins nombreux. Tous très attachants parce que sans filtre ! Parfois ils font des remarques très surprenantes et enrichissantes. Des relations bien loin de tout masque social…
BDSL - Est-ce qu’ils emportent des livres après la séance ?
AH - Oui bien sûr, ils empruntent des livres et les rapportent en classe. Ce sont eux qui les choisissent et les documents sont enregistrés sur la carte de l’enseignante. Ils aiment beaucoup les livres sur les dinosaures, les albums adaptés des films d’animation de Disney, parce qu’ils ont vu les films et reconnaissent les images et l’histoire. Un des jeunes adore les livres jeu Où est Charlie ? de Martin Hanford… Ils sont passionnés par les livres sur les animaux, ils aiment aussi les contes, les livres tactiles… S. connait par cœur la liste des titres de la collection Contes à toucher imprimée au dos des livres de la série.
BDSL - Pour ces enfants, quelles sont les principales difficultés d’accès au livre et au texte
AH - Ils sont en capacité de suivre un apprentissage scolaire mais ils n’ont pas forcément la capacité de lire. Ils ont un accès direct à l’image et cela conditionne le choix des livres qui leurs sont lus, racontés ou présentés. En même temps, ce sont des adolescents, il faut trouver des livres adaptés à leur âge et éviter soigneusement les albums destinés aux tout-petits… Récemment, je me suis appuyée sur deux livres publiés par les éditions Lescalire - Lire autrement, qui mêlent images, textes et pictogrammes et favorisent les échanges avec le groupe.
Maintenant, il faudrait disposer de choix de livres un peu plus spécifiques et c’est là que la BDSL pourrait nous apporter son appui.
BDSL - Est-ce que ces accueils ont posé des difficultés particulières à la bibliothèque ?
AH - Pas vraiment… Tout a commencé en même temps : leur scolarisation à l’école de Varennes, ma prise de poste, les accueils hebdomadaires à la bibliothèque. Nous étions tous dans la nouveauté !
Parfois un enfant est un peu bougeon, un peu plus difficile à canaliser mais dans l’ensemble, non, pas de difficultés particulières. Et c’est tellement sympa de se dire qu’ils ont accès aux livres ! Mais finalement pour moi, le plus difficile c’est le manque de temps, surtout les vendredis ou j’accueille une autre classe à 11 h. En même temps, il faut que la bibliothèque vive, je dois trouver le bon dosage…
BDSL - Quel apport pour la bibliothèque ? Quel apport professionnel et personnel ?
AH - On entend beaucoup de discours sur « l’inclusion », mais dans les actes, les nouvelles sont un peu plus rares ! A Varennes-le-Grand en tous cas, la nouvelle équipe municipale avait intégré ce projet dans son mandat, comme un signe d’ouverture, et c’est tout à son honneur.